Syndrome métabolique : une approche prédictive grâce à la métabolomique

Touchant des personnes de plus en plus jeunes, le syndrome métabolique est encore trop souvent diagnostiqué tardivement, alors que les complications sont déjà installées et parfois irréversibles. Une analyse métabolomique pose les jalons d'une prévention personnalisée.

Nadia Bastide-Sibille, publié le 17 mars 2022

Syndrome métabolique : une approche prédictive grâce à la métabolomique

Maladie multidimensionnelle dont les principales complications sont le développement d’un diabète de type 2 ou de maladies cardiovasculaires, le syndrome métabolique est influencé par de nombreux facteurs, génétiques, épigénétiques et environnementaux (en particulier liés à l’alimentation et à l’activité physique). « Autrefois, le diabète de type 2 touchait majoritairement les personnes âgées. Aujourd’hui, il existe des cliniques pédiatriques pour traiter cette pathologie chez l’enfant et l’adolescent », déplorent Estelle Pujos-Guillot et Blandine Comte, chercheuses à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), Unité de Nutrition humaine, Plateforme d’exploration du métabolisme (PFEM), MetaboHUB, à Clermont-Ferrand. Le syndrome métabolique est caractérisé par la présence d’au moins trois anomalies parmi : un tour de taille élevé, une hyperglycémie, une hypertriglycéridémie, une tension artérielle élevée ou un taux bas de HDL-cholestérol. Sa prévalence est d’environ 20 % dans la population française, mais il reste difficile à diagnostiquer.

« La mesure de ces critères cliniques se fait couramment dans les services d’obésité ou d’endocrinologie, mais le médecin généraliste n’a pas toujours à l’esprit d’associer tous ces facteurs de risques », constatent les chercheuses. Dans le cadre de l’étude des relations entre alimentation et bien vieillir, Estelle Pujos-Guillot et Blandine Comte, en collaboration avec le CEA, l’université de Montréal et l’université McGill, ont monté un projet pour étudier les métabolites sanguins impactés par le syndrome métabolique, afin d’en améliorer le diagnostic, grâce à la métabolomique1,2. « Plus tôt la pathologie est détectée, plus les conséquences irréversibles sont susceptibles d’être évitées. Notre objectif est de faciliter un diagnostic le plus en amont possible à des fins de prévention », détaille Blandine Comte.

Les chercheurs ont ainsi mené une étude cas-témoin sur des échantillons sanguins de 123 hommes âgés (68 à 82 ans) issus de la cohorte québécoise NuAge, à trois ans d’intervalle. « Pour les cas, nous avons sélectionné des patients avec un statut de syndrome métabolique stable au cours du temps, mesuré avec les critères cliniques. L’avantage de cette cohorte est que nous avions beaucoup de données descriptives sur les sujets », précise Estelle Pujos-Guillot. Les métabolites sanguins ont été mesurés via six méthodes différentes : une méthode de spectrométrie de masse couplée à la chromatographie en phase gazeuse (petits métabolites volatils ou apolaires), quatre méthodes de spectrométrie de masse couplées à la chromatographie en phase liquide (détection des métabolites polaires et lipides) et une méthode de RMN (résonance magnétique nucléaire). « Ces méthodes, bien que lourdes à mettre en œuvre, présentent une bonne complémentarité pour un screening large, sans a priori. Nous avons détecté 476 signaux modulés par le syndrome métabolique (soit 16 % de l’ensemble des métabolites/lipides détectés), et nous sommes capables d’en annoter 33 % », présente le Dr Pujos-Guillot. Ces résultats ont rendu possible l’étude des processus métaboliques impliqués dans la pathologie. De plus, des techniques de statistiques et machine learning (intelligence artificielle) ont ensuite permis d’élaborer un modèle prédictif à partir d’une signature constituée de 102 métabolites. « Afin de réduire cette signature tout en gardant la même capacité de prédiction, nous avons sélectionné les métabolites annotés correspondants aux trois critères suivants : robustes pour l’analyse, prédictifs au niveau statistique, et ayant une pertinence biologique intéressante », explique-t-elle. De ce travail de grande ampleur a résulté l’identification de 26 métabolites qui constituent une signature biologique du syndrome métabolique dans la cohorte étudiée2. « L’utilisation de cette signature en diagnostic clinique nécessitera préalablement une validation dans d’autres populations. Il y a en effet de grandes différences selon l’âge et le sexe des personnes », tempèrent Estelle Pujos-Guillot et Blandine Comte. « Nous avons des données non publiées chez des hommes et femmes âgés de 20 à 30 ans et avons pour projet d’étudier des jeunes retraités ; la retraite étant la meilleure période pendant laquelle intervenir pour un vieillissement réussi ». L’étape suivante sera de simplifier le dosage avec des équipements plus accessibles procurant à terme des études quantitatives en routine.

« Par rapport aux critères cliniques, l’analyse des métabolites permet une meilleure prédiction et apporte beaucoup plus de détails sur l’origine du dysfonctionnement, afin de mieux caractériser le patient. Par exemple, certains métabolites identifiés sont associés à l’activité physique ou à la nutrition, consommation de fibres par exemple, ce qui laisse supposer un rôle important du microbiote », analyse Blandine Comte. Ainsi, une étude moins exhaustive réalisée sur la cohorte Gazel composée de volontaires d’Électricité de France et de Gaz de France menée chez des jeunes retraités en amont de la pathologie, a montré un meilleur pouvoir prédictif de l’analyse du métabolome comparé aux critères cliniques classiques3.

D’ailleurs, Jeremy Nicholson, le précurseur de la métabolomique, a introduit cette technique aux urgences en Angleterre pour orienter les patients4. « Il a dix ans d’avance », admire Estelle Pujos-Guillot. « Ces approches vont nous permettre de distinguer des sous-groupes de patients et de redéfinir la pathologie et le traitement pour une médecine personnalisée de précision », anticipe-t-elle.

L’apport des « omics »

Les projets impliquant la métabolomique qui voient le jour vont dans ce sens : « toutes les approches “omics” sont applicables pour une approche thérapeutique différente et différenciée, par exemple pour prédire la réponse à des traitements dans le domaine du cancer, ou encore pour évaluer la réponse d’une population à une exposition donnée telle que l’activité physique ou l’alimentation », projettent les chercheuses. « Nous avons même réalisé un projet d’évaluation de la réponse des sportifs à un entraînement intensif par analyse métabolomique5. Les applications sont très larges », ajoutent-elles.

« À l’avenir, les pathologies seront probablement grandement redéfinies, ce qui nécessitera de décloisonner les formations médicales des médecins. C’est un véritable changement de paradigme vers une approche préventive », conclut Blandine Comte.

 

  1. Monnerie S. et al, Sci Rep. 2020 Jan 20; 10(1): 669. 
  2. Comte B. et al., EBioMedicine, Volume 69, 2021, 103440, ISSN 2352-3964.
  3. Pujos-Guillot et al., J Proteome Res. 2017 Jun 2; 16(6): 2262-2272.
  4. Nicholson Jeremy K, Nature. 2012 Nov 15; 491(7424): 384-92.
  5. Pla R. et al., J Sports Sci 2021 May; 39(9): 969-978.
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