Allergies alimentaires. Prise en charge et prévention
Si l'éviction est encore de mise dans certains cas d'allergies alimentaires chez l'enfant, d'autres stratégies de prise en charge se démocratisent, à commencer par l'immunothérapie allergénique. Des travaux de recherche menés autour du microbiote intestinal pourraient également conduire, à terme, au développement de stratégies préventives efficaces.
entre de multiples autres facteurs potentiels, notamment environnementaux – un certain nombre d’allergènes émergents
6 %. Voilà, à peu de choses près, où se situe aujourd’hui la prévalence des allergies alimentaires chez l’enfant. Du moins, chez les enfants français âgés de moins de cinq ans et demi. C’est en effet ce qu’a permis de mettre en évidence – entre autres résultats couvrant une large palette de disciplines scientifiques – l’étude ELFE1, première étude longitudinale française d’envergure nationale consacrée au suivi des enfants.

Basée sur une cohorte de plus de 18 000 sujets, tous nés en 2011, elle a permis la collecte de données portant sur les allergies alimentaires (AA) chez quelque 16 400 d’entre eux. Un échantillon qui, outre cette valeur de prévalence, a permis l’obtention d’autres données épidémiologiques éclairantes. « Parmi ces 6 % d’enfants qui souffrent d’allergie alimentaire, un sur cinq se révèle allergique à plusieurs aliments », souligne notamment la Dre Amandine Divaret-Chauveau, MCU-PH2, responsable de la Fédération d’Allergologie du CHRU de Nancy (FAN) et directrice adjointe de l’unité de recherche DevAH.
Cet état des lieux actuel reste toutefois difficile à replacer dans une évolution temporelle de plus long terme, faute de données comparatives. « Il n’existe pas d’étude épidémiologique montrant une augmentation de prévalence des AA au cours des vingt dernières années », note en effet la Dre Amandine Divaret-Chauveau, avant de préciser: « Ce que l’on sait, en revanche, est que la prévalence des allergies au sens large – eczéma, asthme, rhinite… – ne fait qu’augmenter depuis cinquante ans au sein des pays les plus développés ».
Et s’il est une autre tendance avérée, c’est bien celle de l’augmentation des cas graves d’AA, comme le note le Dr Guillaume Pouessel, pédiatre allergologue et chef de service au Centre hospitalier de Roubaix: « Les anaphylaxies sont de plus en plus fréquentes chez l’enfant dans les pays occidentaux, notamment dans la tranche d’âge préscolaire ».

Constitué de poudre de graine d’arachide dégraissée, Palforzia est un nouveau médicament disponible en France, indiqué dans le traitement de l’allergie à l’arachide chez l’enfant.
De nouveaux allergènes pointés du doigt
Confirmant cette tendance à la hausse, Marie Bodinier, directrice de recherche au Centre INRAE Pays de la Loire3, pointe du doigt – entre de multiples autres facteurs potentiels, notamment environnementaux – un certain nombre d’allergènes émergents: « Le Réseau d’Allergo-Vigilance (RAV) a signalé dans une publication récente4 huit allergènes dits » émergents « , définis comme responsables d’un pour-cent ou plus des cas d’anaphylaxie sévère enregistrés: lait de chèvre et/ou de brebis, sarrasin, sésame, alpha-gal5, kiwi, pignon de pin, produits de la ruche, mais aussi pois et lentilles, des légumineuses auxquelles on ne s’attendait pas vraiment… ».
Autant de nouvelles sources potentielles d’AA, qui s’ajoutent ainsi aux allergènes connus de longue date: lait de vache, œufs, poissons ou encore fruits à coque, pour n’en citer que quelques-uns. Une diversité croissante d’allergènes qui amène ainsi les médecins à s’appuyer sur une palette de stratégies de prise en charge caractérisée elle aussi, aujourd’hui, par son élargissement.
Induction de tolérance, immunothérapie allergénique… Au-delà de l’éviction
« Les approches thérapeutiques que nous adoptons dépendent étroitement des allergènes mis en cause », explique d’emblée la Dre Divaret-Chauveau, rappelant au passage l’importance cruciale, pour le patient, de disposer en permanence sur lui d’une trousse d’urgence contenant des stylos d’adrénaline auto-injectable – seul et unique traitement de l’anaphylaxie – et ce, quelle que soit l’option thérapeutique choisie.
Des options thérapeutiques qui, si elles restent, aujourd’hui encore, cantonnées à l’éviction pure et simple face à bon nombre d’allergènes, se diversifient malgré tout pour quelques-uns d’entre eux, avec à la clé moins de contraintes alimentaires pour les jeunes patients.
C’est notamment le cas avec l’induction de tolérance orale. « On privilégie cette option face à trois allergènes parmi les plus fréquents chez le petit enfant, que sont le lait de vache, le blé et l’œuf », note la pédiatre nancéienne. Ceci, toutefois, dans les rares cas où l’AA n’évolue pas favorablement d’elle-même ; son taux de résolution spontanée à 3 ans flirtant avec les 80-90 % pour ces trois allergènes.
Lorsqu’il s’avère malgré tout nécessaire, ce traitement doit, pour que la tolérance qu’il induit persiste, être suivi par une consommation régulière de l’aliment en question. « Lorsqu’il s’agit, au contraire, d’un aliment consommé de manière épisodique et habituellement responsable d’allergie persistante, comme l’arachide, on ne parle plus d’induction de tolérance orale, mais plutôt d’immunothérapie allergénique (ITA) », explique la Dre Divaret-Chauveau.
Réservée aux formes persistantes d’allergies à l’arachide, mais aussi aux formes sévères d’allergies au lait, au blé et/ou aux œufs, la pratique est généralement réalisée par voie orale6 – l’ITO – mais se distingue toutefois d’une simple induction de tolérance orale, notamment par les pesées très précises des aliments qu’elle implique, au mg ou au mL près.
Depuis peu, elle peut d’ailleurs aussi passer, dans le cas de l’arachide, par l’utilisation d’une poudre de protéines standardisées: le Palforzia® (AR101). Tout cela, conjugué bien sûr à un suivi rigoureux ; d’autant plus lorsque l’enfant souffre d’une forme d’allergie sévère… Une sévérité qui peut d’ailleurs parfois amener les médecins à faire appel à une approche complémentaire de l’ITO, mais pas encore reconnue: la biothérapie.
Des aliments et plats cuisinés sans allergènes
Comme le rappelle sur son blog11 l’Association de recherche clinique en allergologie et asthmologie (Arcaa), pour les enfants souffrant d’AA, « manger en collectivité peut être source d’angoisses, d’évictions injustifiées voire de troubles du comportement alimentaire, ou au contraire de prise de risque ». Plusieurs industriels se sont ainsi saisis du problème, en développant des aliments et plats cuisinés garantis sans allergènes. Attention tout de même, « ces aliments n’excluent en général que les 14 allergènes à déclaration obligatoire ! », souligne la Dre Divaret-Chauveau, qui plaide ainsi, au passage, pour un élargissement de cette liste aujourd’hui trop restreinte.
Biothérapie: une pratique émergente mais prometteuse
Essentiellement basée sur l’utilisation d’anticorps monoclonaux anti-IgE tels que l’omalizumab, la pratique pâtit toutefois, pour l’heure, de l’absence d’AMM en Europe pour ces molécules thérapeutiques nouvelles dans le cadre du traitement des AA. Leur mise en œuvre peut toutefois être envisagée dans le cadre d’une autorisation d’accès compassionnel. « Nous proposons principalement cette solution en cas de survenue, au cours d’une ITA, d’une réaction sévère ayant mis en jeu le pronostic vital de l’enfant », témoigne la Dre Divaret-Chauveau. « Plusieurs publications ont en effet déjà montré que ce type de biothérapie permet de momentanément « calmer » le système immunitaire, et donc de lancer une phase d’induction de tolérance sans risquer une réaction grave », ajoute-t-elle. Un espoir supplémentaire, donc – d’autant plus grand qu’une AMM a récemment été délivrée dans cette indication outre-Atlantique – pour les enfants souffrant de formes graves d’AA.
Si l’arsenal thérapeutique semble donc s’étoffer, il se cantonne cependant toujours, comme l’évoquait plus haut la pédiatre nancéienne, à un nombre restreint d’allergènes. « Au-delà du trio lait, blé, œuf et de l’arachide, nous ne disposons actuellement pas de recommandations pour les autres allergènes », déplore en effet la Dre Divaret-Chauveau, qui pointe notamment le manque d’études randomisées, souvent difficiles à mettre en place tant d’un point de vue pratique que financier: « L’industrie pharmaceutique ne s’intéresse que depuis peu à la prise en charge des AA, qui passe en effet très souvent par l’alimentation, tout simplement… ». Des aliments qui restent effectivement, comme pour bien d’autres pathologies, notre premier médicament.
1 Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance.
2 Responsable de l’unité d’allergologie pédiatrique, Hôpital d’enfants – CHRU de Nancy.
3 Responsable de l’équipe Allergies (ALL) au sein du Laboratoire Biopolymères Interactions Assemblages (BIA).
4 DOI: 10.1016/j.cnd.2023.02.002
5 Galactose-alpha-1,3-galactose, glucide présent dans la plupart des viandes rouges.
6 Une administration par voie épicutanée est aussi à l’étude, notamment au travers d’un patch développé par l’entreprise biopharmaceutique DBV Technologies.
7 DOI: 10.1111/all.16399
8 Cf. note précédente et DOI: 10.1111/all.12777
9 DOI: 10.1111/all.16396
10 2′‐Fucosyllactose.
11 https://blog.arcaa.info/aliments-sans-allergene/